10 juillet 2006

Le mal tribut des tribus mâles

On pourrait croire que la tribu des « jeunes mâles gris » a déclaré la guerre à celle des « vieux mâles blancs ». Mais les apparences sont trompeuses. D’un côté, un système colonial raciste doté autant d’un pouvoir fascisant, discriminatoire et répressif, enracinés sur ses pilotis médiatiques et dopé aux statistiques, que d’une contestation social-démocrate, culpabilisée, amnésique, raciste par omission, piquée aux anabolisants. Ce système se démarque par son immense aptitude à ne traiter que le court terme, pour mieux ré-agir ou re-qualifier, ré-habiliter, ré-nover, ré-former, braquant leur vocabulaire aux petits commerçants. Il ne nomme plus – les jeunes victimes de Clichy-sous-bois ont perdu leur identité avec leur cœur carbonisé -, il ne badine avec l’Histoire que pour mieux l’enterrer – l’ordonnance utilisée pour instaurer le couvre-feu date des événements liés à la guerre d’Algérie, date à partir de laquelle une politique d’immigration massive a été mise en place par l’Etat français pour nourrir les usines françaises, en même temps que la mise en couveuse de cités-dortoirs -, il ne sexe pas – les émeutiers seraient de jeunes eunuques ou hermaphrodites. De l’autre côté, des individus, qui avancent masqués, non identifiés, n’opèrent pas au grand jour et se placent en vandales occasionnels sans aucune ambition de changer, culbuter, estourbir, radicaliser, bref politiser la situation. Ils n’aspirent qu’à se faire autant de pognon que les autres. Ils réagissent à la violence par la violence, sans en changer les donnes. Ils se protègent derrière des populations condamnées en conséquence sans appel à la victimisation et à l’exclusion, le tout sous la haute protection de Grands Frères, les seuls à posséder un nom, au titre de la religion qu’ils auraient miraculeusement adoptée. Ils ne contestent en rien l’oligarchie qui régit le système répressif, ni ses règles, basées sur la division de sexe, de classe, de race. Ils sont eux aussi libéraux, racistes, homophobes et sexistes. Ils re-produisent. Match nul.
Novembre 2005

Décontaminer les esprits

En prélude, je souhaiterais exercer ma prose sur le mot "accélération". Nous vivons une période sous accélération. Pas seulement sous le signe de la vitesse. Sous accélération. L'accélération des transactions financières, des concentrations, mais aussi des échanges, des tendances en communication. En Europe et en Amérique du Nord, nous ne pouvons plus supporter d'attendre une réponse. Une soi-disant information. Nous vivons un acharnement agressif à augmenter la vitesse sans cesse. Pourquoi? Pour être en contact ? Pour communiquer largement ? Pour apprendre ? Pour en savoir plus ? Pour échanger des compétences? Illusion. Non, la raison cachée est de créer de plus en plus de bénéfices. Quand nous prenons une photo avec notre téléphone portable, nous prenons un plaisir non caché à l'envoyer à un-e ami-e, lui offrant ainsi un cadeau, une vue d'ensemble instantanée de nous-mêmes ou de là où nous sommes. Instantané. En fait, nous augmentons la rentabilité des pipelines de la communication, dont le propriétaire est privé et "simplement" inconnu, non-public, et nous offrons gratuitement nos données personnelles, données qui pourront être utilisées pour d'autres opérations de vente. Nous sommes de plus en plus habitué-es à ne pas prendre le temps de penser, ni de lire. Nous manquons de temps, non ? "Notre" opinion est de plus en plus fournie par... un fournisseur. Nous n’avons pas à en prendre soin. Nous nous sentons assisté-es. En fait, nous nous sentons bien informé-es ou suffisamment. Dans certains cas, nous estimons que nous n'avons pas besoin de penser. Nous savons, tout simplement. Nous pouvons identifier un "terroriste" juste par son visage ! Nous justifions la politique de sécurité, parce qu'elle est présentée comme un bénéficie direct pour nous. Nous avons intégré l'idée de plus de contrôle, partout où il est, dans la rue, à l'école, à l'hôpital, à la maison. Nous ne nous inquiétons pas que des migrant-es puissent maintenant être suivi-es par satellite. Nous ne le savons pas, tout simplement. Pourtant, nous sommes envahi-es de portails, bulletins d’information, galeries d’images, programmes audiovisuels... Pourquoi demanderions-nous plus quand nous ne savons plus ce qui manque? Quand nous n’avons plus de temps à consacrer à la curiosité? Nous pensons individuellement... pour gagner du temps. Ouaohhhh ! Il y a ici un système wifi, de sorte que je peux être connectée-e où et quand je veux ! Mais que savez-vous des personnes vivant ici, en particulier des femmes, et des routes, des accès à l'école, au travail, et même au téléphone ou à la presse indépendante? Nous acceptons, plus que nous ne tolérons, la disparition du service public, ou la notion de biens communs et d’intérêt général, comme une fatalité. Nous avons déjà oublié ce que cela signifie. Dans beaucoup de pays d’Europe de l'Est, il est beaucoup plus facile d’accéder à un téléphone portable qu'à une ligne téléphonique à domicile. Beaucoup d’études démontrent que le problème n’est pas tant la connectivité. Le plus grand problème demeure le contenu. En fait, la communication à laquelle nous avons accès est à sens unique. De l’émetteur au récepteur. Sans aucune ambition concernant l'interactivité, excepté pour l’achat. Pas d’objectif, ni même de conscience, de la nécessité de s’exprimer librement. Si j'insiste sur le fait que tout ce secteur de la communication est dominé par des hommes, toutes ces affirmations ne vous inspirent-elles pas quelque chose de très connu ? A sens unique, aucun besoin d’interactivité, ni d’expression, simplement l’accélération dans les tuyaux... Continuons. Regardons donc du côté de nos Sms. Nous avons facilement accepté cette nouvelle langue, avec ses nouveaux codes. Ne savons-nous pas que la sémantique est au coeur de toute civilisation ? Voici l'ironie de cette accélération.
Acceptons donc cet axiome : nos esprits sont contaminés. Et le virus peut nous tuer. Mais nous pouvons également apprendre à vivre avec lui. Le connaître, employer notre propre grille de lecture des événements, des situations, analyser chaque nouvel élément à l'ordre du jour global, en déconstruisant chaque nouvelle symbolique, chaque nouvelle manière de penser ou tentative dans ce sens, en inventant notre propre langue. Commençons par un exemple. Pour les Objectifs du millénaire pour le développement, l'ONU recommande instamment la société civile de combattre la pauvreté et en particulier de prêter, pas spécifiquement une perspective de genre, mais une intention spéciale envers les femmes. Qu’est-ce que ça veut dire? Pourquoi ? Cette formule inclut déjà l’idée que des femmes sont discriminées, mais sans plus le dire. C’est enfoui. Dans le même registre, la Banque mondiale encourage plus d'éducation en direction des jeunes filles. Quelle éducation ? Pour quoi faire? De quelle manière ? En payant les cours ? Je voudrais introduire ici un seul exemple : en Chine, en raison du libéralisme et également de la politique de l'enfant unique, les filles sont de moins en moins instruites. S'il y a un choix à faire pour des raisons économiques et sociales, les parents misent sur le garçon. Qui peut nous rappeler toutes ces causalités ? Je ne m'arrêterai pas ici. Pourquoi les femmes seraient-elle plus instruites si elles continuent à ne pas être informées de leurs droits, de leur situation commune avec d'autres femmes dans d'autres pays, de leurs moyens, de leur force ? La force est-elle définitivement synonyme de guerre ? En un mot, l'éducation ne peut pas évacuer l'information et la visibilité. Nous arrivons ici finalement au sujet: les technologies. Vous aurez compris que mon but est d'expliquer que les Tics sont essentielles à ce processus d'accélération. Mais naturellement, je ne suis pas ici pour dire "débarrassez-vous des Tics!”. Le problème n'est pas les technologies en tant que telles, mais la manière dont elles sont utilisées.

Pour aller plus avant, je voudrais insister sur une question de vocabulaire très importante: je suis en désaccord avec l'association des termes "open source" et "logiciel libre". C'est vraiment une approche anglo-saxonne. Je suppose en raison du sens du simple mot "free". "Free" ne signifie pas « gratuit », "aucun coût", "aucune valeur". C’est un mot, « libre », directement lié à la notion de liberté. La liberté de s’exprimer, d’être informé, d’informer, d’échanger, de partager, d’être créatif-ve... une réelle richesse! Et, comme nous venons juste de le voir, cette accélération, qui est proposée par le système dominant, est totalement opposée à tout type de liberté ou d'autonomie ; elle enferme, individualise, inhibe le champ des possibles ; ceci va à l’encontre d’une quelconque démarche de démocratie, de paix, d’équilibre écologique, d’égalité, et en particulier d’égalité de genre. Ainsi, laissez-moi revenir à ceci : les logiciels libres sont notre futur. L’Open source est uniquement une méthodologie de développement, une ressource technique, qui est également employée par les multinationales pour augmenter leur bénéfice ; le logiciel libre est un mouvement social, une philosophie, et une vision du monde. Ceux qui emploient, mais collaborent également, à la production du libre s'occupent d'un autre monde, sans aucune domination, de sexe, de genre, de race et de classe. Et c'est possible ! Cela fonctionne !

En conclusion, j'ai été invitée à répondre à cette question : "quels changements devons-nous implémenter dans la politique aujourd’hui en œuvre en Europe concernant les médias et les Tics, afin de développer un terrain riche et commun qui satisferait tout le monde?". Question très difficile. Je suis désolée, je ne pense pas que nous puissions "implémenter" un quelconque changement dans le processus dominant global actuel. Je crains que nous n'ayons aucun endroit de faire une quelconque proposition. Principalement, en raison de ce modèle d'accélération. Il représente une politique opposée à ce que je pourrais bien vous conseiller. Mais, et voici la dialectique du libre, nous pouvons proposer d'autres modèle, au pluriel.
Voici quelques idées pratiques, principalement reliées à la démarche de visibilité des politiques de genre :
- mettez en lumière vos actions, vos façons de penser, votre opinion, mettez-les sous le projecteur, sentez-vous libre d’informer le public en réseautant mais aussi en développant un processus de partage, une dynamique d'échange ; utilisez les rss !
- publiez sans aucune restriction ; créez vos propres outils de publication en utilisant des logiciels libres ; arrêtez de vous sentir incompétentes ! Partagez vos problèmes en tant que solutions !
- utilisez le texte mais également les images, l’audio, la vidéo de sorte que ces contenus puissent être reconditionnés vers d'autres medias/canaux : internet/web mais également journaux, Cdroms, bandes magnétiques en direction des radios, télés, mp4 pour les machines portables, etc. ;
- encouragez l'interactivité avec l’audience, employer des chatrooms, forum... ;
- créez vos contenus "copyleft" de sorte qu'ils puissent être reproduits, copiés, traduits, sans aucune limite ;
- proposez vos contenus ou outils en tant que "creative common" et faites-en la promotion, de sorte que vous participiez à un processus commun d’élaboration qui sera sans fin et dont vous et tou-tes bénéficierez ;
- créez l'économie de votre communication ; ne cessez jamais d’impulser l'idée que les fournisseurs de contenu, vous, sont égaux aux bailleurs de fonds ou aux utilisateurs ; il n'y a pas relation de dette ;
- revenez systématiquement à ce dont vous avez besoin, pas plus.

Pour récapituler ma position, je dirais que dans un monde et une civilisation où tout connaît une accélération considérable, des concentrations, des transactions, des échanges financiers, pour toujours plus de profit, utiliser et pratiquer le libre représentent un enjeu afin d’assurer l'égalité de genre, la biodiversité et la paix. Cet engagement devient une philosophie : créer ensemble, prendre le temps et penser, afin d’assurer la protection des biens communs et de faire la promotion des droits à communiquer. De cette façon, elle s’imbrique, dans son intégralité, avec le combat global pour la justice de genre.

19/09/05

L'enfermement

[…] J’ai chaud. Résister, c’est exister. Je suis arrivée dans cette cellule un jour d’été après quelques jours de cavale. Etoupée. Tout est informe. Je vis l’enfermement. Ma journée connaît deux temps forts. Jusqu’à la prochaine fois. Aujourd’hui, Ulrike, Roger, Florence et Ibrahim m’ont fait l’immense bonheur de me rendre visite. Je n’ai rien d’autre à faire. Un œil me surveille en permanence. J’ai envie de mourir. J’ai décidé de démarrer une grève de la faim. Je pleure. Pas de jugement. Je fumerais bien une cigarette. Une femme s’assoit à côté de mon lit. Mais, qui êtes-vous ? Le transfert a donc eu lieu. Ajuster. Transformer une planche de papier imprimé en boîte. De la désobéissance civile, je suis passée à l’exploitation consentie et appréciée. Une balle en caoutchouc de dix centimètres carrés sous le coccyx, une autre en mousse, de la même taille, sous l’occiput. Qu’est-ce que je vais devenir ? En cercle, assises autour d’une immense table. Je retourne m’asseoir à ma place sans broncher. Il y a quelques semaines, un mec m’a convoquée. Recouvrir la liberté, la seule possible: celle de choisir la forme de mon enfermement. Dans une pièce toute blanche, à l’exception de deux murs garnis de livres et de deux fenêtres très larges, ouvrant sur la verdure et autorisant une lumière immaculée, un homme en blouse blanche est assis derrière un bureau. A dire vrai, il irait bien prendre l’air. […]